Les Amis du Livre contemporain

« Un livre … sur tous les livres »

par Kathleen Hyden-David

livre

C'est à un sociétaire des Amis du Livre Contemporain, Pascal Fulacher, également conservateur du Musée des Lettres et Manuscrits à Paris et Rédacteur en chef du magazine Plume, que l'on doit un ouvrage aussi passionnant qu'esthétique : « Six siècles d'art du livre, de l'incunable au livre d'artiste ». Sa toute récente parution s'accompagne d'une exposition au Musée des Lettres et Manuscrits permettant au visiteur d'admirer de visu la plupart des livres rares auxquels l'ouvrage fait référence. Comme son intitulé le suggère, « L'art du livre ... » consacre une place importante à la relation privilégiée que les artistes entretiennent depuis toujours avec le livre. Une rencontre avec l'auteur éclaire le lecteur comme le visiteur sur ce travail incroyablement exhaustif :


KHD : Votre ouvrage représente un énorme travail. Qu'est-ce qui vous a donné l'envie de réaliser une telle rétrospective et pourquoi à la fois un livre et une exposition ?

PF : Cet ouvrage est le fruit de plus de vingt ans de travaux et recherches dans le domaine de l'histoire du livre. J'ai en effet rencontré de très nombreux professionnels du livre, en France et à l'étranger, qu'ils soient artisans, artistes, conservateurs, historiens, éditeurs au cours de ma vie professionnelle. J'ai en outre effectué de nombreuses recherches en bibliothèque et amassé un nombre considérable d'ouvrages sur l'histoire et l'art du livre. Ces rencontres et ces lectures ont constitué la matière première à de nombreux articles dans Art & Métiers du livre, Le Magazine du Bibliophile, Plume, mais aussi dans l'Encyclopédia Universalis entre autres. Je me suis beaucoup intéressé également à l'histoire du papier, et j'ai publié avec Marie-Ange Doizy un ouvrage sur le sujet : Papiers et moulins des origines à nos jours, dont la première édition remonte à 1989. Enfin, j'ai repris mes études universitaires au début des années 2000 et j'ai soutenu avec succès une thèse de doctorat à la Sorbonne sur l'esthétique du livre au XXe siècle. Comme vous le voyez, je suis immergé dans cette histoire du livre depuis fort longtemps et il était donc tout naturel que j'écrive un jour un livre… sur tous ces livres. En 2003, j'ai eu la chance de rencontrer Gérard Lhéritier, président de la société Aristophil et fondateur du Musée des lettres et manuscrits qui m'a aussitôt accordé sa confiance et m'a confié l'acquisition de livres anciens et modernes de bibliophilie. Voici donc bientôt dix ans, que j'acquière des ouvrages pour cette société et le musée en vue de constituer une collection cohérente et représentative des grandes étapes de l'histoire du livre. Cette exposition et ce livre constituent donc, non un aboutissement, mais un jalon dans ce parcours et dans l'évolution de cette collection. Une rétrospective s'imposait donc compte tenu de la nature de la collection. En outre, retracer six siècles d'art du livre n'avait encore jamais, paradoxalement, à ma connaissance, été réalisé, que ce soit à travers un livre ou une exposition. Il est important de nos jours, face à l'évolution de plus en plus rapide des industries graphiques, d'aider les jeunes générations à s'y retrouver. Et de leur montrer la beauté, à travers leur matérialité, de tous ces livres produits au cours de ces derniers siècles. Il est en outre primordial de leur faire savoir que nous ne vivons pas la « fin du livre » mais le début d'une nouvelle ère et que le numérique ne pourra jamais se substituer au livre, au beau livre qui reste incomparable et irremplaçable.

KHD : La question de l'image tient une place importante dans votre ouvrage. Pensez-vous que l'illustration ait particulièrement contribué au développement du livre voire à sa pérennité ?

PF : Oui l'image a bien entendu beaucoup contribué au développement du livre. Déjà à l'époque incunable, nombre de livres ont été illustrés avec des gravures sur bois, ce qui apporta au livre une autre dimension qui n'existait pour ainsi dire pas dans les manuscrits antérieurs, sauf dans les rares manuscrits à peintures. A partir du moment où l'illustration a pénétré dans le livre, le nombre de lecteurs s'est accru. Au XIXe siècle, l'illustration dans le livre répond à un besoin de multiplier les tirages et donc de trouver de nouveaux lecteurs : grâce à de nouveaux moyens de reproduction, notamment la gravure sur bois debout, les éditeurs proposeront de plus en plus de livres illustrés qui séduiront de nouvelles couches sociales encore récalcitrantes à la lecture. Les livres de peintres du XXe siècle permettront de hisser le livre au rang d'œuvre d'art et ainsi de pérenniser l'objet livre.

KHD : Pensez-vous que l'intervention des artistes dans le livre ainsi que les techniques d'originaux multiples soient les principales sources de création bibliophilique contemporaine ? Font-elles parfois oublier le texte ou au contraire le servent-elles en le sublimant ?

PF : Il est indéniable que l'artiste occupe aujourd'hui une place essentielle dans le livre de création. Tout simplement parce que les principaux artisans qui intervenaient autrefois dans ces livres, qu'ils soient imprimeurs-typographes, imprimeurs taille-douciers, imprimeurs lithographes… sont de moins en moins nombreux et vont devenir à terme de véritables dinosaures. L'artiste qui veut de nos jours « faire » un livre est confronté à cette réalité-là, en plus du problème du coût qui est important eu égard au faible nombre d'exemplaires produits (quelques dizaines aujourd'hui). L'artiste est également devenu au fil des dernières décennies son propre éditeur : rares aujourd'hui sont les éditeurs à publier des livres d'artiste. Il y a encore quelques galeries, libraires ou ateliers d'imprimeurs qui le font mais ils sont très peu nombreux. L'artiste s'est donc « emparé » du livre qui est devenu un véritable support de création pour lui. Le texte est encore bien présent dans la plupart de ces livres mais il a incontestablement perdu de sa valeur étant donné qu'il n'y a plus d'éditeur pour assurer un certain équilibre entre les illustrations, si je peux me permettre de les appeler ainsi, et le texte. Les Vollard, Kahnweiler, Tériade… jouaient en quelque sorte ce rôle. Ce n'est plus le cas de nos jours. L'artiste choisit son texte et le caractère avec lequel il sera composé, réalise bien souvent la mise en page, voire la mise en livre. On est entré depuis ces deux dernières décennies dans l'ère du livre d'artiste qui porte bien son nom puisque seul l'artiste est aux commandes ! Les livres où un véritable dialogue s'engage entre les images et le texte sont cela dit assez rares, le texte ne servant plus que de prétexte au livre bien souvent. Il y a toutefois encore de belles réussites de livres de dialogue comme l'a démontré Yves Peyré dans son ouvrage Peinture et poésie, le dialogue par le livre (Gallimard, 2002).

KHD : Dans votre livre comme dans l'exposition, l'action des sociétés de bibliophilie est évoquée. Selon vous, quel rôle ont-elle joué -et jouent-elles encore- dans la création du livre d'exception et par contre coup, dans l'évolution du livre en générale ?

PF : Les sociétés de bibliophiles ont joué un rôle relativement important dans le domaine du livre de création en faisant connaître des livres illustrés par des artistes de tous horizons. Bien que la plupart n'aient pas véritablement réalisé de grands livres de peintres mais se sont contentés de publier des livres d'illustrateurs, certaines se sont toutefois distinguées comme la Société du Livre Contemporain qui a publié Les Climats de la comtesse de Noailles réalisé par F.-L. Schmied. Cette société, devenue les Amis du Livre Contemporain, est encore à la pointe dans le domaine du livre de création. Leur dernier ouvrage illustré par Enki Bilal le démontre amplement.

KHD : On craignait que la numérisation sonne la fin du livre. Or certaines techniques nouvelles comme l'impression numérique pigmentaire, ont au contraire ouvert de nouvelles perspectives. A-t-on toujours recherché la beauté plastique dans le livre ? Pensez-vous que l'esthétique soit plus que jamais un atout ?

PF : Le livre a toujours su rebondir. Les techniques ont évolué mais ne l'ont pas tué tout au contraire. Les nouvelles technologies ont conduit les éditeurs et les artistes à produire des livres de plus grande qualité encore, et ont permis au livre de rivaliser sans mal avec le numérique. Rien ne pourra remplacer l'aspect matériel du livre, son papier, le froissement de ses pages, son odeur, son poids, sa dimension esthétique…

KHD : Pensez-vous que quelle qu'en soit la forme, le livre est éternel ?

PF : Le livre est en tout cas encore bien présent dans notre société occidentale et pour longtemps encore. Il ne disparaîtra pas à brève échéance mais se renouvellera, comme il l'a toujours fait. Je parle bien sûr des livres de création mais aussi des beaux livres. Ceux-ci ont encore de beaux jours devant eux !

Pascal Fulacher
« Six siècles d'Art du Livre,
De l'incunable au livre d'artiste »
Citadelles & Mazenod et le Musée des Lettres et Manuscrits, 2012
318 p
39 E


Exposition :
Musée des Lettres et Manuscrits
222 boulevard Saint Germain
75007 Paris

du mardi au dimanche, de 10 h à 19 h
nocturne le jeudi jusqu'à 21 h 30
fermeture hebdomadaire le lundi
01 42 22 48 48
info@museedeslettres.fr

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