Les Amis du Livre contemporain

Walpurgisnachtstraum

Gabriel de Broglie de l'Académie Française,
Chancelier de l'Institut de France,
Président de la Société des Bibliophiles François

Gabriel de Broglie

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis du Livre contemporain,
plus directement chers amis,


Je veux tout d'abord vous remercier de m'inviter à assister à votre assemblée générale, à participer à vos travaux et à applaudir vos réalisations. Je suis heureux de vous apporter le salut d'une société de bibliophiles qui a pas mal d'années de plus que la vôtre, mais, très régulièrement, admire vos créations.

Cette année, je le déclare d'emblée : nous sommes en présence d'un chef d'œuvre. Il pourrait imposer d'une certaine manière le silence. Il ne supporterait pas l'improvisation.

Si le but de notre association est bien de « créer la bibliophilie du XXIe siècle » en donnant la parole aux artistes contemporains, l'illustration qui en est faite cette année est de tout premier ordre. La rencontre d'un mythe, celui de Faust, d'un créateur aussi complet et universel que Gérard Garouste et d'une technique très novatrice de composition des images a donné naissance à une œuvre de toute beauté.

Ce n'est pas la première fois que Faust prend un artiste dans ses rets. C'est ainsi qu'en 1829 l'éditeur Charles Motte propose à un peintre de 28 ans « de lui sacrifier quelques instants pour arranger une affaire diabolique avec Faust ». Delacroix, car c'est de lui qu'il s'agit, s'attelle à la réalisation de dix-huit lithographies. Un an auparavant, Nerval signe sa première traduction de Faust.

D'autres artistes ont tenté de fixer l'imaginaire de ce mythe. Deux siècles avant Delacroix, je pense à Rembrandt, dont le « Practisierende Alchemist (Alchimiste au travail), devenu ce « Docteur Faust », peint entre 1650 et 1652 est aujourd'hui au Rijksmuseum d'Amsterdam. Cette eau-forte, pointe sèche et burin est dans toutes les mémoires. Rembrandt a réalisé une création iconographique dans laquelle il associe magie et érudition, ce que Goethe incarnera plus tard dans le personnage de Faust.

Ami intime de Delacroix, Alexandre-Marie Colin [1798 1875], peintre et lithographe, se penche sur le couple Faust/Marguerite. Jean-Paul Laurens, le peintre de l'Histoire, excellent décorateur, exécute pour Faust, une série de dessins. Mikhaïl Vroubel [1856-1910], l'un des plus grands représentants du symbolisme et de l'art nouveau russes, a placé Méphistophélès et Faust sur des chevaux à la crinière fougueuse. Plus proche de nous, le peintre américain d'origine libanaise Nabil Kanso, qui nous plonge dans un combat d'ombres noires sur fonds de couleurs intenses. La série Faust (1976) comprend plus de 100 peintures sur le drame de Goethe, rendant de façon saisissante l'enchevêtrement complexe des relations humaines.

Gérard Garouste, lui, a choisi la gouache et le résultat éclabousse le regard. Il a l'expérience des personnages universels. Les splendides illustrations qu'il a consacrées à Don Quichotte en sont le témoignage. Cet exercice lui permet d'approfondir son travail sur les personnages Janus, à double face, pour fouiller leur dualité. « Si j'ai choisi le Faust de Goethe », dit-il, « c'est parce que Faust et Méphistophélès sont deux faces d'un même personnage. »

La part obscure du docteur Faust, comme des décors où il se perd, est mise en avant de main de maître. L'on ne sait plus si l'on est dans l'enfer sur terre ou dans, je n'ose pas dire l'enfer, mais le creuset de création de l'artiste.

Ce n'est pas tout. L'œuvre que nous avons sous les yeux apporte une nouveauté dont on peut penser qu'elle fera date dans l'histoire du livre de peintre, du beau livre illustré. Cette nouveauté est déjà à l'œuvre dans d'autres domaines de la création. Il s'agit de l'utilisation de l'électronique et de la numérisation. Le cinéma et la photographie, l'art vidéo, ont poussé très loin les techniques de montage, de trucage, de conception assistée ou de création assurée directement par ordinateur. C'est aussi le cas de la musique. Je me souviens des entretiens que j'avais il y a trente ou quarante ans avec Pierre Schaeffer. Il était alors l'un des créateurs de la musique électro-acoustique. Il travaillait avec de vieux ordinateurs qu'il bricolait lui-même, car il était polytechnicien et en tirait une musique concrète qui empruntait beaucoup, à l'époque, à des décharges électriques ou à des chocs de wagons de chemins de fer dans un hangar métallique. Il appelait cela des brouillons. Il les conservait soigneusement, les classait, mais savait parfaitement que ses brouillons ne constituaient pas des œuvres. Il tentait d'inventer un langage, mais il manquait encore un vocabulaire, une grammaire, une rhétorique. La musique contemporaine a franchi beaucoup d'étapes sur cette voie. La difficulté vient plutôt de nos jours des œuvres qu'un compositeur a voulu composer avec des notes sur une portée, mais pour des sons qui ne se laissent pas enfermer par l'écriture. Il faut parfois des feuilles de musique d'un ou deux mètres de hauteur pour noter ces cris stridents ou sourds.

Pour composer les musiques de Faust, Gérard Garouste a eu recours à un réalisateur, à un monteur électronique d'images, Franck Bordas, pour rendre cette illustration, non pas concrète comme la musique, mais au contraire virtuelle, ces images qu'aucune main n'a tracées, mais qui restent figuratives et qui sont superbes.

L'année 2010 du travail de création de l'Association des Amis du livre contemporain restera dans les annales de l'Association et de la bibliophilie en général. Je suis heureux d'adresser à son président, à tous ceux qui ont pris part à cette œuvre et au créateur en premier lieu, Gérard Garouste, à Frank Bordas à qui l'on doit les images, mes félicitations les plus admiratives et chaleureuses.

Gabriel de BROGLIE

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