Les Amis du Livre contemporain

Témoignages

Gabriel de Broglie de l'Académie Française,
Chancelier de l'Institut de France,
Président de la Société des Bibliophiles François

Les Amis du livre Contemporain, société bibliophilique fondée en 1903 par Jules Claretie – contribuent-ils, par leurs éditions, à maintenir voire à développer le goût de la bibliophilie ?

Gabriel de Broglie

Les membres des Amis du livre contemporain sont unis par leur passion commune des beaux livres. Alors que la quasi-totalité des sociétés de bibliophiles, si florissantes encore il y a un demi-siècle, disparaissent de nos jours, quelques-unes survivent tout de même, nous sommes quelques-uns à en porter témoignage. La société des Amis du Livre Contemporain, qui en a absorbé plusieurs autres, se distingue par un dynamisme et une vivacité plus que centenaire !

La société d'éditions bibliophiliques « Les Amis du Livre Contemporain » édite tous les ans ou tous les deux ans des « livres de création artistique » interprétés par de grands plasticiens contemporains : Olivier Debré – « L'Ecclésiaste » (1999), Jean-Paul Chambas – « L'Orfeo » (2001), André Malraux/Vladimir Velickovic « Les Noyers de l'Altenburg » (2003), André Velter/Ernest Pignon-Ernest « Corps d'extase » (2004), François Cheng/Francis Herth « Que nos instants soient d'accueil » (2006). Le dernier opus, en 2007, s'intitulait « Lumière sur Lumières » illustré par Fouad Bellamine, sur un texte de Tahar ben Jelloun. Dans tous ces cas, une remarquable conjugaison des talents conduit à l'œuvre originale, à la création intégrée, à l'élévation d'un art différent, d'un art du livre par la convergence des talents.

Choix des artistes, des auteurs, de l'artisan de la fabrication des publications, autant de tâches qui illustrent la multiplicité des talents nécessaires à faire naître un livre unique. Cette originalité permet aux Amis du Livre Contemporain d'occuper une place à part dans le monde de la bibliophilie.

Estimez-vous que les livres d'artistes ouverts délibérément sur la création littéraire et plastique contemporaine sont la bonne voie pour susciter de nouvelles vocations de bibliophiles ?

Bien sûr. Les voies de la bibliophilie sont multiples, chacun le sait mais la société d'édition des Amis du Livre Contemporain contribue au développement des métiers traditionnels de l'écrit mettant à contribution typographes, lithographes et relieurs autour d'un texte d'écrivain illustré par un artiste contemporain. Il est important de créer, de cette façon, les chefs d'œuvres du XXe et du XXIe siècle, qui séduiront les collectionneurs actuels et futurs.

Les livres de création artistique sont-ils par leur spécificité un élément de notre patrimoine comme les métiers du livre dont ils sont inséparables ?

L'édition de livres de haute qualité consacrés à la peinture, à la sculpture et à l'architecture ainsi qu'aux technologies nouvelles se développe, je pense notamment aux Editions du Cercle d'art. L'un des devoirs des Amis du Livre Contemporain est de « maintenir et de développer dans de nouveaux milieux le goût des livres rares faisant référence et porteurs d'authentiques valeurs culturelles ». L'essentiel, c'est l'exigence extrême, j'allais dire féroce, des concepteurs, et le talent imprévu, mais maîtrisé, j'allais dire sauvage, des créateurs. Tout est accompli ici. Dans ce sens, c'est indéniablement un élément de notre patrimoine culturel.


Tahar Ben Jelloun de l'Académie Goncourt

Que vous a apporté, comme poète, le travail de création avec Fouad Bellamine ?

Tahar Ben Jelloun

Ce fut un travail d'enrichissement mutuel ; je connaissais le travail de Fouad Bellamine, mais en écrivant à partir de sa peinture après avoir discuté avec lui, j'ai, me semble-t-il approfondi cette connaissance et peut-être l'ai-je mieux intégrée dans mon imaginaire.
Ce fut un éclairage neuf et original.

Des livres de ce type participent-t-ils, selon vous, au développement de la bibliophilie et à la pérennité des beaux livres dits d'artistes ?

La bibliophilie est une passion ; elle s'exprime par la rareté et l'excellence de ce qu'elle réalise. J'espère que d'autres écrivains et d'autres artistes se retrouveront autour des Amis du Livre Contemporain pour un travail commun qui participera à la pérennité de cette passion.


Une telle création peut-elle servir les causes que vous défendez ?

Je ne fais pas de différence entre un poème écrit à partir d'une émotion esthétique et un roman mûri longtemps dans mon esprit. Je pense aller dans la même direction, celle de l'exigence, de la rigueur et j'ose dire de ce qui approche le mieux la vérité de l'être.


Yves Peyré
Ecrivain et Directeur de la Bibliothèque Sainte-Geneviève

Quel regard portez-vous sur l'action d'une société de bibliophilie comme les Amis du Livre Contemporain ? Pensez-vous qu'elle contribue à enrichir notre patrimoine culturel ?

Yves Peyré

Le problème le plus fréquent auquel les sociétés de bibliophilie ont eu à faire face est une contradiction interne. A quelques exceptions près, elles ont longtemps été ancrées dans la tradition. Alors qu'elles auraient dû être à la pointe, elles se retrouvaient plutôt à la traîne, se cantonnant à reproduire des modèles du livre qui ne tenaient pas compte des inventions du moment. Depuis quelque temps, on assiste, en particulier chez Les Amis du Livre Contemporain, à une prise de conscience, autrement que ponctuelle, qu'un livre ne doit pas dater, qu'il faut répondre à l'ambition de création et non de répétition.
Cette approche est indispensable sauf à disparaître. Les sociétés de bibliophilie n'existeront pas en s'en tenant au conventionnel. Aujourd'hui, Les Amis du Livre Contemporain engagés sur cette voie, ne sont plus en retard et même pas loin d'être à l'heure… Leurs dernières productions, celles du XXIe siècle sont excellentes. Il faut donc souhaiter qu'ils persistent dans cette direction.

En tant que bibliophile, quelle analyse faites-vous du livre rare illustré par un artiste ? Vous avez-vous vous-même publié chez Gallimard en 2001 « Peinture et Poésie », ouvrage sur la question du rapprochement entre l'Art et la Littérature ; pensez-vous que le travail de l'artiste valorise le texte et vice versa ?

Personnellement, je vois les choses de la façon suivante : il se trouve que, dans l'espace particulier du livre, deux types d'expressions se rencontrent, l'Ecrit et l'Art, pour une création tout à fait nouvelle. L'Ecrit est tiré à plus que lui-même. L'Art est tiré à plus que lui-même. Un véritable échange a lieu, un échange éminent par le texte, éminent par l'image et éminent par la forme du livre. C'est une triple invention en une. L'un ne doit pas l'emporter sur l'autre. Si un déséquilibre apparaît, c'est raté ! Il faut de l'invention sur les trois fronts. Tout doit être inventif. Dans cette perspective, tout est possible. La seule exigence est l'invention.

A une époque où l'image s'impose partout, pensez-vous que le recours aux arts plastiques pour accompagner la littérature peut séduire les jeunes générations ?

Il est vrai que les jeunes générations s'éloignent du livre sous sa forme traditionnelle. On vit une omniprésence de l'image. Nos villes sont envahie par l'image : publicité, affiches, etc. Parallèlement, il existe un retour du texte traditionnel lié à l'utilisation de l'ordinateur et du portable. C'est par ce biais que l'on revient au langage. On assiste donc à une double inflation des images et des mots. Simplement ces images et ces mots ne passent pas nécessairement par le relais du livre. L'image échappe à l'Art. Le mot échappe à la Littérature.
Comme je l'ai dit précédemment, il ne s'agit pas de valoriser l'un par l'autre. Cependant, on peut considérer que, face à ces inflations qui déréalisent – car on est dans le virtuel, un virtuel souvent fort beau d'ailleurs –, la concrétude du livre peut s'opposer à une lassitude générée par l'excès de dématérialisation. En effet, la pure lecture qui a sa propre valeur et constitue un plaisir en soi, ne peut pas se faire sur l'écran plutôt réservé pour sa part à la recherche et à l'échange. Elle se fera donc par le livre.

Pensez-vous que les livres illustrés par des artistes doivent être le reflet des phénomènes culturels contemporains les plus marquants ? Dans cette optique, peut-on ou doit-on tout oser ?

On doit tout oser, oser toutes les formes possibles, de même pour les textes et les images. Tout doit être risqué – mais qu'est-ce qu'un texte (ou une image ou une forme du livre) risqué ? Naturellement, textes et images n'ont pas besoin de coller à l'actualité. Par contre, ils doivent rendre compte directement ou indirectement de l'ambiance du temps. Beaucoup de choses sont possibles, le numérique entre autre. Il ne faut rien écarter. Tous les courants ayant compté dans l'histoire, ont métissé les moyens et modes d'expression mais il n'y a pas de recette. Il ne faut pas figer la novation en système sinon on tombe de nouveau dans la répétition et cela devient vite lassant.

La distinction faite entre les livres édités par les Amis du Livre Contemporain et les livres dits d'artistes vous semble-t-elle justifiée, sachant que ces derniers sont en général produits à un très petit nombre d'exemplaires voire même en exemplaire unique ?

Certains bibliophiles peuvent craindre parfois que les livres réalisés en collaboration avec des artistes deviennent plus œuvre d'art que livre. Encore une fois, cette crainte n'est justifiée que s'il existe un déséquilibre, en l'occurrence si la forme du livre ou l'image l'emporte sur le texte. Le type de livre dont on parle ici, tel qu'en éditent Les Amis du Livre Contemporain, n'est pas une œuvre d'art stricto sensu mais une œuvre de création.
Les divers qualificatifs ont tous leurs limites. Un livre dit d'artiste est effectivement une œuvre singulière ayant une place bien déterminée dans l'histoire de l'art. Un livre de dialogue est encore autre chose. Le processus d'élaboration est différent pour un livre édité par une société de bibliophilie. Un certain nombre de personnes s'étant regroupées pour l'éditer, c'est un livre qui a un public acquis d'avance. Ce n'est pas un inconvénient, bien au contraire, si ce public n'est pas réticent à l'invention, à l'innovation, à la création. Les sociétés de bibliophilie peuvent faire toute sorte de livres, y compris des livres d'artistes, mais elles doivent adopter une attitude suffisamment ouverte pour assumer la triple invention. C'est, semble-t-il, l'engagement actuel des Amis du Livre Contemporain. Toutefois, essentiellement à cause du nombre d'exemplaires nécessaires, je mettrai quand même une limite au champ d'activité d'une société de bibliophilie : le livre manuscrit n'entre que fort déraisonnablement dans son champ.

Pensez-vous que des livres comme ceux édités par les Amis du Livre Contemporain, devraient être acquis par des bibliothèques mais aussi des musées et être présentés au public ?

Je ne crois pas que tous les livres doivent suivre un cheminement prédéterminé. Pour Les Amis du Livre Contemporain, le chemin passe par ses membres. Le cercle des destinataires est a priori fermé. Chacun verra sans doute un jour ou l'autre sa collection prendre une voie autre que celle envisagée : d'autres possesseurs s'imposeront. On ne peut pas figer d'emblée l'avenir de ces ouvrages mais on peut imaginer qu'à terme ils seront dans les bibliothèques ou les musées. J'ajouterai cependant que Les Amis du Livre Contemporain doivent savoir exposer leurs livres dès leur parution car ce sont des livres faits pour être montrés. Peut-être même pourraient-ils concevoir un nombre très restreint d'exemplaires destinés aux lieux qui accepteraient de les exposer. C'est la seule forme d'anticipation sur le devenir institutionnel de ce type de livre qui soit acceptable. Ma réserve à ce qu'une majorité de publications soit déposée d'emblée dans les institutions tient au fait que cela les prive d'une autre vie, toute aussi riche, celle de la collection particulière. Des éditions comme celles des Amis du Livre Contemporain savent répondre à cette attente.

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