En vous remettant aujourd'hui ce livre, ayant pour titre « WALPURGISNACHTSTRAUM », titre étrange, empreint d'un certain mystère, les Amis du Livre Contemporain affirment leur rôle.
Ils accomplissent leur mission, ils sont en initiative pour pérenniser la bibliophilie illustrée, novatrice et contemporaine. Ce livre ne saurait passer inaperçu de la communauté des bibliophiles.
Faust, dans la traduction de Gérard de Nerval, un texte mythique, une légende prestigieuse, et Garouste, un artiste reconnu pour son génie, c'est notre livre de bibliophilie de ce jour !
Cet ouvrage aux images éclatantes, à la typographie de haute exigence, à la mise en page inventive fera date.
Ce Faust, dans la vision de Gérard Garouste, repose sur une alchimie hors du commun.
Pourquoi ?
D'abord, parce que le génie de Gérard Garouste consiste à tenir à égale distance, dans un équilibre réussi et parfait deux forces qui, désappariées, conduiraient dans deux mondes dissemblables : celui du philosophe kantien, sanglé dans les vêtements du Classique, celui du bouffon avant-gardiste, habillé en Indien.
Le Classique ?
L'homme de l'ordre et de la mesure, de la tradition de l'équilibre.
L'Indien ?
Selon une terminologie empruntée à Michel ONFRAY, c'est l'homme de l'intuition et de la poésie, de l'orgiaque et de la danse, de l'inspiration et de l'enthousiasme.
« Il faut les deux. Si l'un triomphe de l'autre, le pire surgit comme le fauve de sa cage : Sans raison, l'Indien délire,
Sans intuition, le Classique devient fou ».
D'où les nombreuses chimères qui envahissent l'univers du peintre.
Cette alchimie, présente dans l'œuvre peint de Gérard Garouste habite également de façon intense son interprétation de Faust dont les extraits s'inscrivent au regard des planches illustrées de notre livre.
Vous y trouverez l'étude et la sagesse, mais aussi l'invention et le poésie. Cette alchimie est au cœur du texte de Goethe, dans la traduction poétique de Gérard de Nerval.
Le choix du texte par l'artiste n'est jamais anodin, bien au contraire.
Enthousiaste pour créer un livre, malgré ses multiples tâches, mû par une impétueuse force intérieure, il souligne d'emblée qu'il n'interprète que des textes mûris, analysés, médités pendant plusieurs années.
Il hésite cependant plusieurs jours et propose le « Golem » y trouvant inspiration et mystère, dans la veine de la Kabbale.
Puis soudainement, il me fait part de son choix de Faust. J'y puise, me dit-il, les mythes et l'atmosphère qu'il me faut pour créer un beau livre de bibliophilie.
Qu'en pensez-vous ?
Ce Faust de Gérard Garouste que nous vous présentons est le fruit d'un long mûrissement. Il recèle une part intime de vie de Gérard Garouste. Voici venu le choc entre son art de peintre et les dialogues tragiques de Goethe.
WALPURGISNACHTSTRAUM, songe d'une nuit de Sabbat !
Comme il le confie dans « l'Intranquille», son vécu de l'existence, ordonne de manière impérieuse, son œuvre d'artiste. Placé au milieu d'un maelström de souffrances, de doutes, de douleurs, de furies, il se sentait perdu lui-même. Avant que la peinture, révélée de façon immanente, n'éclaire d'une lumière tragique son univers.
« L'artiste dit et peint que le sentier traverse de terribles paysages » (M. ONFRAY).
Relisez l'extrait de Faust, à la page 55 de votre livre :
« Sur le pays des chimères,
Notre vol s'est arrêté …
Vois ces arbres qui se pressent
Se froisser rapidement
Vois ces rochers qui s'abaissent
Trembler dans leur fondement
Partout le vent souffle et crie
Dans ces rocs, avec furie
Se mêlent fleuve et ruisseau … »
Dans le chapitre « Le Cachot » (page 73), Marguerite sous ses chaînes, prisonnière de ses chimères, hantée par la mort que la justice fait planer sur elle, résiste à Faust qui veut lui rendre sa liberté.
Fuite qu'elle a écartée, à demi-consciente, alors que le regard froid de Méphistophélès l'observe et que ce dernier entraîne Faust et laisse Marguerite abandonnée à son destin.
A l'alchimie de sa vie et de sa peinture, Gérard Garouste superpose une seconde alchimie, celle des affres de Marguerite abandonnée à son destin par un Faust incertain, magicien pusillanime.
Le génie de l'artiste est de créer un livre où les images, les couleurs, les anamorphoses sont les réminiscences d'une part de son vécu et répondent d'autre part aux passions contrariées puisées dans un texte porteur de mythes éternels :
Astrologues, sorcières, tantôt charlatans, tantôt convaincus de leur pouvoir sur les éléments et le monde des esprits.
Ce livre souligne combien notre relation avec l'art est souvent d'ordre métaphysique.
Prenons du recul.
Comment caractériser le génie de Gérard Garouste qui se dégage de ce livre ?
Peu de créations picturales permettent de mieux saisir ce qu'est l'art de notre temps.
C'est superficiel, voire faux de dire que l'art de notre temps soit les objets, au besoin déformés ou transposés, vus à travers un tempérament.
L'art, tout grand art est l'annexion des formes pour un schème intérieur qui prend ou non forme de figures ou d'objet.
Nul plus que Gérard Garouste, dans ce livre, ne démontre mieux que l'artiste est ce lui qui croit en une puissance particulière de l'homme : dévaloriser le réel par l'espoir, qu'il porte en lui une source d'éternité.
On pourrait aller jusqu'à dire que dans son œuvre peint comme dans cette interprétation de Faust, Garouste procède à une purification du monde.
C'est sa victoire qui rejoint celle de l'art sur le destin de l'humanité, à travers les siècles.
En ce sens, l'art est pour lui un anti-destin.
« Je puis bien, dans la vie et dans la peinture, me passer du Bon Dieu, mais je ne puis pas, moi, souffrant, me passer de quelque chose qui est plus grand que moi, qui est ma vie : la puissance de créer ».
Cette citation de Vincent Van Gogh s'applique parfaitement à Gérard Garouste.
Yves Benoit-Cattin
31 mai 2010
(1)Songe d'une nuit de Sabbat
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